« Une nation sous surveillance » : c’est ainsi que s’ouvre un long papier du New York Times (NYT) qui met en image une énorme base de données que les journalistes du quotidien américain ont récupérée grâce à une source anonyme. Dans cette base se trouvent plusieurs mois de géolocalisation de douze millions de smartphones. Douze millions de citoyens que l’on peut donc suivre à la trace pendant des mois. De quoi faire saliver n’importe quelle agence de renseignement intérieur, mais aussi une horde d’entreprises de marketing numérique.
Le journal a analysé ces données pendant des mois avec le soutien de scientifiques, de chercheurs, d’avocats, etc. Outre les superbes animations qui donnent le sentiment de se trouver dans un jeu vidéo où chaque point représenterait un « Sims », ce qui fait clairement peur c’est le niveau de détails de ces informations. On peut ainsi suivre les parcours des amis de stars dont l’adresse est connue, suivre tel un ballet de lucioles les 10.000 badauds parcourant Central Park un jour donné. Et traquer les mouvements de centaines de personnes parcourant les couloirs labyrinthiques du Pentagone, le ministère de la défense américain.
Nos smartphones, ces mouchards géolocalisés
Point de Snowden qui lâcherait à nouveau des données gouvernementales, ni même de source issue du monde de la téléphonie : l’informateur du NYT vient d’une entreprise de traitement de la géolocalisation des données numériques. Une entreprise de l’ombre qui compile les mouchards géographiques que nos smartphones glissent dans les paquets de 0 et de 1 que nous éparpillons çà et là dans les applications et services qui y sont installés.
Et c’est là que c’est inquiétant. Car aussi imparfaits soient-ils, des garde-fous existent dans les sociétés démocratiques quant aux types de données que les services de police et de renseignement peuvent compiler, ainsi que la façon dont ils peuvent y accéder. Il y a des abus, des écarts, il y a encore des progrès à faire, mais au moins l’arbitraire est contenu par un cadre légal. Or, les données récupérées par nos confrères américains sont issues d’une agrégation sauvage que nous générons sans même le savoir.
Ces données invisibles ont ainsi permis aux journalistes de mettre des noms sur tous les participants de la Marche des Femmes, qui avait réuni un demi-million de personnes dans Washington le 21 janvier 2017. Dans cette foule, le NYT a pu suivre les allées et venues d’un haut responsable du département de la défense. Et voir comment il a traversé la manifestation, vers quel lycée il s’est dirigé, puis identifier la cérémonie à laquelle il a assisté, etc. Imaginez ce qu’une société totalitaire pourrait faire de ces données !
Cadre légal américain trop permissif
Dans l’état actuel, les données « glanées » sont utilisées de manière opaque par des entreprises spécialisées dans la revente de profils à des fins de marketing. Des sociétés peu médiatisées – mis à part Foursquare, aucun des noms n’apparaît généralement dans les articles grand public. Mais une chose est sûre : le cadre légal des États-Unis autour des données personnelles est bien trop permissif. Bien plus que celui de l’Union européenne, où le respect de la vie privée est un peu mieux respecté, faisant même office de référence dans le monde.
Au long article illustré du New York Times, s’ajoute un très gros dossier de sensibilisation de leurs lecteurs (The Privacy Project, accès réservé aux abonnés) qui met en lumière les problèmes de notre société numérique et propose des parades sommaires – car pour l’heure il faut parfois se résigner à ne pas pouvoir tout contrôler.
Entre les fuites massives – la dernière en date concerne pas moins de 267 millions d’utilisateurs de Facebook – et la collecte sauvage, nos données personnelles ont plus que besoin d’une législation protectrice. Pas sûr que cela plaise aux Google, Facebook et autres « mineurs » marketing.
Mais en cas de mauvais usage, les enjeux sont trop importants.
Source : The New York Times
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